История комиксов во Франции и их использование в изучении иностранного языка
Автор статьи: Мари Кавалье, опубликована 23 октября 2017
(Текст на франзуском языке)
М. КАВАЛЬЕ
г. Екатеринбург, Россия
История комиксов во Франции и их использование в изучении иностранного языка
Аннотация: Комикс – важное явление в Европе, которое содержит в себе лингвистическое, культурное и художественное богатство. Он может использоваться в занятиях иностранным языком, делая их увлекательными и динамичными.
Ключевые слова: французский комикс, французский язык, Эрже
M. CAVALIE
Yekaterinburg, Russia
History of comics and their use in learning of a foreign language
Abstract: Comics are an important phenomenon in Europe which presents a linguistic, cultural and artistic richness. It can be used in conducting an interesting and dynamic foreign language lesson.
Keywords: French comics, French, Herge
Histoire de la BD et son utilisation durant un cours de langue étrangère
La bande dessinée demeure un phénomène encore trop peu connu en Russie. Malgré quelques volontés de faire évoluer les choses, le genre reste malheureusement encore cantonné au rayon littérature jeunesse. Pourtant, la BD est un univers recelant d’inventivité et de créativité. Avant d’entrer dans les détails, il est nécessaire dès le départ de se pencher sur un point linguistique. Effectivement, le terme de comics en russe est parfaitement inadapté et mélange plusieurs contextes et courants. Bien que le comics américain et la BD franco-belge aient pour point commun le dessin avec un texte inséré dans des bulles, leur histoire et leur style sont totalement différents. Ainsi, le terme comics fait avant tout référence au genre américain, alors que la bande dessinée évoque essentiellement l’espace artistique franco-belge.
La BD fait donc partie intégrante de la culture française et constitue par ailleurs un support idéal pour un cours de langue, allant même au-delà de l’aspect purement linguistique et langagier.
L’histoire de la BD en France
De tout temps, l’Homme a dessiné pour raconter des histoires, que ce soit sur les murs d’une grotte, sur des tapisseries ou sur des enluminures. Mais ce que l’on appelle communément bande dessinée trouve sa raison d’être dans sa reproduction : cet art se développe en même temps que la presse à grand tirage, à la fin du XIXème siècle. La BD n’est bien évidemment pas apparue soudainement, elle est le fruit d’une évolution. Ainsi, des images étaient véhiculées de village en village par des colporteurs au cours du XVIIIème siècle. C’est ce que l’on nommait les images d’Epinal. Elaborées dans la ville éponyme, il s’agissait d’estampes traitant des sujets de la vie quotidienne, de l’actualité ou bien encore racontant des histoires. Les couleurs de ces gravures étaient plutôt vives. Quant au texte narratif, il restait en retrait par rapport à l’image et n’y était pas intégré.
Puis, petit à petit, ces images apparurent dans des journaux. D’abord destinés à la jeunesse bourgeoise, le genre fut popularisé grâce au dessinateur Christophe. Introduisant le genre du feuilleton, ses histoires captivèrent non seulement les enfants mais aussi les adultes. Christophe n’hésita d’ailleurs pas à créer des doubles sens afin de toucher un plus large public.
Mais la BD en France, c’est aussi et surtout une affaire d’édition. Avec Christophe, le périodique restait le support privilégié de la BD et non l’album lui-même. En 1905, une nouvelle façon d’éditer la BD apparût avec la Semaine de Suzette. Tout premier périodique illustré, il raconta dans un premier temps les aventures de Bécassine, jeune fille bretonne sotte à souhait.
Trois années plus tard, un autre fait marqua l’évolution de la BD avec l’introduction des bulles. Le premier à tenter l’expérience réalisa Sam et Sap sous le pseudonyme de Rose Candide. Certes une révolution du genre, mais l’œuvre est à prendre avec des pincettes étant donné son caractère raciste.
La BD continua son chemin au fil des années et en 1929, l’un des plus célèbres dessinateurs apparût sur le devant de la scène. Il s’agit d’Hergé, qui, sous une commande du journal Le Petit Vingtième, dessina Les aventures de Tintin au pays des Soviets. Succès immédiat si bien que Tintin ne fut non plus publié dans un journal, mais dans ses propres albums d’aventure.
Hergé est considéré comme le père de la bande dessinée européenne et dans sa lancée, d’autres auteurs importants percèrent. Ainsi, les BD sur Spirou et Fantasio, Gaston Lagaff, Blake et Mortimer, Michel Vaillant et autres remportèrent un succès fou.
Au fil des ans, le secteur de la BD vit son lectorat s’accroître. Pourtant les métiers d’auteurs et illustrateurs restaient incroyablement dévalorisés et peu reconnus. Ne recevant qu’une maigre compensation financière, voire absolument rien du tout, la vie d’auteur n’était pas des plus simples. Ce fut en 1959 que les choses changèrent avec la création du journal Pilote par Charlier, Goscinny et Uderzo ; ces deux derniers n’étant autres que les pères d’Astérix. La BD acquit véritablement ses lettres de noblesse à ce moment-là. Parallèlement, la culture underground qui allait crescendo dans les années 60 trouva en Europe, et plus particulièrement en France un moyen d’expression dans des magazines tels que Hara-Kiri, Charlie mensuel ou Charlie Hebdo. Ces publications laissaient une place importante aux anticonformistes, à la satire politique et sociale. De nombreux auteurs et dessinateurs y firent leurs débuts.
Dans les années 80, le lectorat explosa véritablement et dans la décennie suivante, la BD se détacha peu à peu de l’album d’aventure ou humoristique. Désormais, tous les registres y trouvent leur place, que ce soit les BD pour enfants, les BD pour adolescents ou les BD pour adultes, il y en a pour tous les goûts. De nombreux festivals sont de nos jours dédiés à ce phénomène, le plus célèbre étant celui de la BD d’Angoulême.
Il serait donc dommage de passer à côté de ce genre littéraire et artistique durant un court de FLE. Ludique, dynamique et culturel, la BD est un support inestimable et aux ressources multiples qui permet de travailler toutes les compétences langagières.
Pourquoi donc l’étudier en cours de langue étrangère ?
L’une des premières raisons est qu’il s’agit d’un support ludique facilitant le dialogue. A l’heure d’un enseignement passant par la perspective actionnelle, où l’apprenant prend activement part à son enseignement par le biais d’une pratique de l’oral, la BD est plus que la bienvenue. En outre, ce support peut mêler toutes les compétences langagières si on l’utilise à bon escient. Si l’on ne se focalise que sur la langue, la BD est un excellent moyen d’aborder les différents registres de langue en cours puis qu’il s’agit du langage de la vie quotidienne et bien entendu, chaque personnage a sa propre spécificité d’expression (exemple : Achille Talon qui s’exprime en langage soutenu, Joe Bar qui s’exprime en langage familier et argotique). Bien évidemment, le professeur peut être dérouté voire scandalisé de montrer à ses élèves des planches où les personnages ne s’expriment pas correctement (avec des fautes), il faut comprendre avant tout que les dialogues dans une BD y tiennent une fonction émotionnelle et non rationnelle. La BD dépeint aussi un univers sonore, où tous les bruits sont retranscrits et leur étude donne au cours une dimension très intéressante et amusante (un bruit étant retranscrit différemment d’une langue à une autre. Exemple : le gaf gaf du chien russe se transforme en ouaf ouaf chez le chien français).
Autre point positif de l’utilisation de la BD en cours de langue : la facilité de sa compréhension. Document mêlant réception visuelle et textuelle, les apprenants, même de niveau A1, peuvent faire des hypothèses et recourir à leur imagination.
Enfin, la BD permet de diversifier les activités. Il est facilement réalisable de faire des travaux transversaux. L’étude d’Astérix se prête à une étude historique de la Gaule. Persepolis permet de parler de la guerre ou encore des stéréotypes à travers la vie d’une jeune iranienne, que ses parents ont décidé d’envoyer en Autriche pour fuir la guerre. Mais certaines BD nécessitent un certain dépoussiérage historique avant de les appréhender. Un exemple : Tintin. Même si nous sommes nombreux à l’adorer, il faut bien penser à toutes les polémiques dont son créateur a fait l’objet. Racisme, ton paternaliste, Hergé est loin de faire l’unanimité. Quoi qu’il en soit, cela reflète bien l’esprit de l’époque, celle d’une France colonisatrice, alors pourquoi pas ne pas en profiter, au début du cours, de présenter ce passé de la France ? A prendre avec des pincettes, tant le sujet divise encore de nos jours.
Mais alors, comment aborder tout ce vaste corpus durant un cours de langue ?
Hormis l’aspect linguistique, la BD permet de travailler un très large éventail de domaines. Il est important, voire primordial de faire découvrir aux apprenants toute la dimension artistique de la BD, leur faire entrevoir toute sa profondeur ; c’est-à-dire, la technique de l’auteur et les codes auxquels répondent les BD.
La première attitude à avoir est avant tout d’inciter l’apprenant à la lecture de la BD, pour qu’à la sortie du cours, il ait envie de continuer sa lecture en toute autonomie. Puis vient ensuite l’analyse, plus ou moins poussée en fonction des niveaux, permettant de travailler la langue, la compréhension et les codes et techniques. Enfin, on peut se lancer dans la création (pourquoi pas !) d’une BD.
Avant de commencer à analyser une BD, il faut s’assurer que l’apprenant maîtrise le vocabulaire technique de base (planche, bande, vignette, bulle) puisqu’il sera utilisé tout au long du cours.
Vient ensuite l’étape de la compréhension de la planche. Pour ce faire, plusieurs pistes sont possibles pour efficacement étudier texte et image. On peut par exemple mélanger les vignettes pour ensuite les ranger dans le bon ordre, ou encore ranger les bulles dans les vignettes (ce genre de travail s’adresse donc davantage à des niveaux A1, A2, voire B1 en fonction du niveau de difficulté). On peut ensuite travailler sur les protagonistes, le temps et le lieu de l’action en répondant aux questions élémentaires qui, quoi, où, quand ?
Une fois qu’on s’est assuré que les apprenants ont bien compris le sens de la planche, on peut aller vers une nouvelle étape : l’analyse linguistique. Par exemple, l’on peut retranscrire au discours rapporté les paroles des personnages, analyser le temps des verbes, et selon la planche, varier les travaux (ex. : changer les verbes schtroumpfer par les verbes adéquats dans la BD des Schtroumpfs).
Vient ensuite le travail sur les codes. Cette partie-là peut être plus élaborée à partir du niveau B1 où l’ont peut se focaliser sur des termes plus techniques en exploitant les plans, les cadres et les angles de vue.
Passée l’analyse, on peut s’essayer à la création d’une œuvre. C’est le moment des adaptations littéraires, comme transformer une BD en texte et vice versa. En arriver à ce stade implique déjà une bonne maîtrise des différents codes puisqu’il s’agit de :
- Repérer le schéma narratif d’un texte (les indices de temps, de lieu).
- Différencier ce qui, dans un texte narratif, sera traduit dans une BD par le dessin, les bulles ou par des symboles.
- Raconter les non dits d’une BD, c’est-à-dire les actions non représentées, les personnages non dessinés.
- Relever et interpréter dans une BD tous les indices qui, dans les dessins et dans les textes, expriment les sentiments d’une personne.
Pour mieux illustrer ces propos, voici deux fiches pédagogiques réalisées pour des niveaux différents.
Fiche pédagogique, Tintin et le lotus bleu, niveau A2-B1
Début du cours : Présentation
Tintin et Hergé, voir ce que les apprenants connaissent à ce sujet / Les différents personnages apparaissant de façon récurrente dans Tintin / Le vocabulaire technique de base (BD, planche, vignette, bulle)
Dans un deuxième temps : la compréhension de la BD
Mélanger les vignettes et / ou détacher les paroles des bulles (on peut diviser la classe en deux, l’une range dans l’ordre les vignettes, l’autre attribue à chaque personnage le contenu des bulles). Voir le vocabulaire inconnu.
Décrire les images – lieu, action, repérer s’il y a des scènes non montrées. Analyse des détails (exemple : un personnage a disparu de la planche : émettre des hypothèses.
Dans un troisième temps : la compréhension des codes
Travail sur les mouvements : les apprenants entourent les éléments représentant le mouvement.
Même travail sur les émotions / Hergé et la ligne claire.
Dans un dernier temps : le travail sur la langue
Les différents registres de langue / réécrire au style indirect la BD / réécrire les non dits.
Ouverture : le racisme
Fiche pédagogique : les adaptations, comparaison entre le texte original et la BD. A la recherche du temps perdu, Marcel Proust / adaptation de Heuet. Niveau B2/C1
1. Présentation des deux auteurs et du vocabulaire technique
2. Travail sur la BD dans un premier temps (on ne distribue pas encore le texte de Proust)
- Description des personnages, des vignettes, des couleurs
- Les émotions que dégage cette planche : analyse des vignettes et travail sur les cadres
- Retranscrire les non-dits : travail inverse, à partir de la BD, présenter un texte.
3. Travail sur le texte et la BD : comparaisons
- Identifier les passages retranscrits dans la BD / Identifier les initiatives de Huet
- Quelles différences dans le rendu de l’histoire observe-t-on ?
- Quelles sont vos impressions ? La BD est-elle fidèle ? Si non, qu’aurait-il fallu faire pour qu’elle soit plus fidèle ?
4. Travail sur la langue
Comparaison entre les deux œuvres / analyse du vocabulaire / les figures de style / le passé simple
5. Analyse des deux documents : faire une dissertation (au sens français du terme : exercice littéraire) ou un commentaire de texte
6. Création d’une nouvelle BD à partir du texte de Proust
Pour conclure, la BD est un excellent support en classe de FLE permettant de travailler les diverses compétences langagières attendues à tel ou tel niveau. En outre, son aspect ludique et favorisant le développement de l’imagination permet d’ancrer un cours dans la perspective actionnelle préconisée par le CECRL. L’étude de sa dimension culturelle et surtout artistique permet de dynamiser un cours et d’appréhender une langue étrangère d’une autre façon.
Bibliographie
GALLICA (bibliothèque numérique). http://gallica.bnf.fr/
GOSCINNY R. et UDERZO A. 1963. Le Tour de Gaule d’Astérix. Pilote
GROENSTEEN Thierry. 2009. La bande dessinée, son histoire et ses maîtres. Paris : Skira/Flammarion
HERGE. 1930. Les Aventures de Tintin, reporter du « Petit Vingtième », au pays des Soviets. Casterman
HERGE. 1936. Tintin et le Lotus bleu. Casterman
HEUET Stéphane. 1998-2013. A la recherche du temps perdu. Delcourt
MAIGRET E., STEFANELLI M. (dir.). 2012. La bande dessinée : une médiaculture. Paris : Armand Colin
MORLAT Jean-Marcel. 2004. La bande dessinée en classe de langue. Rencontres Pédagogiques du Kansaï
PEETERS Benoit. 1998. Lire la bande dessinée. Paris : Casterman Flammarion
POGAM,P. (2001). “Comment la France est devenue la terre d’accueil de la
BD” [article]. http://www.lesechos.fr/culture-loisirs/livres/0203277274139-
comment-la-france-est-devenue-la-terre-d-accueil-de-la-bd-646643.php
SATRAPI Marjane.2000-2003. Persepolis. L’Association